NKM: “Si vous ne dérangez pas, vous n’avez pas de valeur ajoutée”

February 14, 2020 0 By JohnValbyNation

L’ex-ministre de Nicolas Sarkozy assume ses ambitions. Elle a par ailleurs décidé d’oeuvrer pour plus de parité au sein de sa propre formation politique.

Gala : Vous partez en croisade pour faire respecter la parité dans votre parti. Quelles sont les réticences que vous rencontrez?

Nathalie Kosciusko-Morizet : Jusqu’ici on était loin du compte. Au moment où l’on refonde notre parti, je suis heureuse d’avoir pu faire adopter la parité dans les instances dirigeantes et la commission d’investiture. Nous nous appelons les Républicains, et la République c’est pour tout le monde, hommes et femmes! C’est une question de justice. Nous devons passer d’un droit virtuel à un droit réel. Les réticences ne viennent pas de la base ou des électeurs, mais des cadres politiques. Il existe un système de cooptation des hommes entre eux qu’il faut contrer.

Gala : Virginie Calmels, qui vient de s’engager en politique chez les Républicains après avoir œuvré dans le privé chez Endemol, a affirmé qu’elle trouvait l’évolution du milieu politique plus lente que celle du monde de l’entreprise dans ce domaine. Comment l’expliquez-vous ?

NKM : Je partage l’avis de Virginie. Il y a beaucoup de concurrence dans le milieu politique et les hommes ne souhaitent pas voir surgir celle des femmes en plus de celle de leurs camarades masculins. Mais c’est une erreur car les équipes mixtes fonctionnent mieux. La parité c’est aussi une question d’efficacité. Cette idée a fait son chemin dans le monde de l’entreprise, il n’y a pas de raison qu’elle ne finisse pas par atteindre la politique!

Gala : Quelles formes prend le machisme en politique ?

NKM : Plus que les petites phrases, je retiens plutôt le processus qui consiste à barrer l’accès aux responsabilités en attaquant les femmes sur leurs compétences pour les décrédibiliser. On use aussi beaucoup à l’égard des femmes de la caricature. A ce jeu-là, le trait de caractère qui fait une qualité pour un homme devient un défaut pour une femme: celle qui est accrocheuse est une emmerdeuse, celle qui ne se laisse pas faire est une hystérique

Et puis il y a l’autocensure. J’alerte souvent les jeunes femmes qui viennent me voir en se posant des questions sur leur avenir : il faut oser, il faut refuser les stéréotypes dans lesquels on voudrait nous enfermer! Nous avons tendance à anticiper les critiques et à nous interdire certaines choses. Simone de Beauvoir a expliqué ce processus dans le Deuxième sexe et son analyse reste très actuelle. Il ne faut surtout pas entrer dans cette logique et devenir l’outil de notre propre discrimination. Celui qui a tort, c’est celui qui porte un regard discriminant. Pas sa victime.

Par ailleurs, nous devons oser l’entraide. Je n’hésite jamais à promouvoir des femmes. Nous devons faire front commun. La semaine dernière, j’ai par exemple organisé un apéro avec les femmes députées de ma formation politique pour réfléchir à des moyens de faire avancer les choses, et, pourquoi ne pas le dire, à décrocher des responsabilités pour les autres femmes aussi.

Gala : Le changement se fait lentement dans votre parti. Nicolas Sarkozy est-il macho ?

NKM : Non, il est plutôt très ouvert sur le sujet. Par exemple, il a vraiment aidé à changer les statuts de notre formation pour faire respecter la parité. Mais ce qui est difficile pour lui, c’est que les sortants sont presque tous des hommes. Il doit gérer cela.

Gala : La vie politique est organisée par des hommes pour les hommes. Comment réussissez-vous à trouver, en tant que mère de famille, un équilibre vie publique-vie privée ?

NKM : Les femmes s’engagent sans problème en politique quand elles sont jeunes, et puis, entre 25 et 45 ans, elles disparaissent du champ, s’effacent à cause de leur rythme de vie familiale et professionnelle. Or en France, pour faire de la politique, il faut s’inscrire dans la durée. J’ai la chance d’avoir ma belle-mère qui vit avec nous. Cela me permet de pouvoir compter sur cette présence familiale auprès de mes deux fils et de ne pas avoir à jongler seulement avec des nounous. Par ailleurs je m’organise. Je crois beaucoup aux rituels avec les enfants et je réserve certains moments pour eux, toujours les mêmes. Je les accompagne à l’école le matin aussi souvent que possible. Chaque soir, je ne prévois rien entre 19h30 et 20h30 pour leur donner le bain et les coucher.

Gala : Christine Lagarde conseille généralement aux jeunes femmes qui veulent faire carrière de bien choisir leur compagnon. Vous êtes d’accord ?

NKM : Ça a son importance en effet. C’est quelque chose dont il faut parler en amont. Gérer deux agendas professionnels est toujours compliqué. Mais en plus dans la vie politique, il y a l’exposition médiatique qui peut être pénible pour le conjoint. Mon mari refuse d’ailleurs toutes les interviews et je respecte son choix.

Gala : Vous avez dit de Ségolène Royal avant qu’elle ne redevienne ministre : « elle en est à attendre que son ex la nomme quelque part. » Regrettez-vous ces propos ?

NKM : Elle a un parcours et une personnalité qui peuvent toucher chacun, et notamment les femmes. Elle fait preuve d’une grande ténacité et d’une grande résilience. Mais la question récurrente de sa place particulière à l’intérieur du gouvernement, comme ces images où on la voit accueillir le couple royal espagnol sur le perron de l’Elysée au côté de François Hollande, ont quelque chose de déroutant.

Gala : Vos prises de positions récentes comme votre critique de la convention sur l’Islam prévue par votre parti, en ont agacé plus d’un. Nicolas Sarkozy a hésité à vous renommer N°2 de son mouvement politique. Vous sera-t-il longtemps possible de faire valoir vos idées dans un parti si souvent cadenassé ?

NKM : Il y a eu de la tension, c’est vrai. J’ai défendu l’idée que le collectif et la liberté de parole n’étaient pas incompatibles. Je le crois profondément, si c’est pour faire semblant de penser tous pareil, on ne sert à rien. Je tiens faire valoir mes idées, quitte à exprimer parfois un point de vue différent. L’ADN d’un parti contemporain est de laisser vivre les débats en son sein.

Gala : Certains affirment que vous êtes l’alibi de Nicolas Sarkozy pour capter, grâce à vos positions sur les questions de société notamment, les personnes susceptibles de se tourner vers Alain Juppé ou Bruno Lemaire. Que leur répondez-vous ?
NKM :Je n’ai pas un tempérament d’alibi ! Sur les questions de société, je ne suis pas conservatrice tout simplement. En France, on se mêle trop de la vie privée des gens. La politique est là pour protéger la liberté, pour en garantir de nouvelles. Pas pour régenter la vie personnelle de chacun. Au-delà de cela, je ne voudrais pas que les propositions que nous ferons aux Français ressemblent à une Restauration.

Gala : Vous présenterez-vous à la primaire de 2016?

NKM : La question se posera en temps voulu.

Gala : Jacques Chirac vous traitait déjà « d’emmerdeuse ». C’est un statut que vous revendiquez ?

NKM : Vous savez, sa place, on se la fait. Si vous ne dérangez pas, vous n’avez pas beaucoup de valeur ajoutée dans le système. Vous n’existez pas et vous ne pouvez pas faire valoir vos convictions et vos idées!

Propos recueillis par Candice Nedelec

Crédits photos : WITT/SIPA