“C’est un film qui m’a réparé” : Denis Imbert évoque Sur les chemins noirs avec Jean Dujardin
"Sur les chemins noirs" sort dans nos salles ce mercredi. Adapté du roman de Sylvain Tesson, le film de Denis Imbert porté par Jean Dujardin est un voyage intérieur qui parlera à chacun d'entre nous. Rencontre avec le réalisateur.
Pour son troisième long-métrage après Vicky et Mystère, le réalisateur Denis Imbert a choisi d’adapter le roman de Sylvain Tesson “Sur les chemins noirs“. Sorti en octobre 2016 aux éditions Gallimard, l’ouvrage relate le parcours de l’auteur après un accident et le voyage à travers la France qui lui a permis de se réapproprier son corps.
C’est Jean Dujardin qui tient le rôle principal de ce film fort et bouleversant qui prend la forme d’une introspection.
Grand amateur de la littérature de Sylvain Tesson, Denis Imbert a eu envie d’adapter cet ouvrage après une période d’errance totale. Il explique : “J’ai lu tout ce que Sylvain Tesson a écrit. Lorsque j’ai appris l’accident de Sylvain Tesson à Chamonix, cela m’a touché. C’était à la fois extraordinaire et terrible. A la lecture des Chemins Noirs, j’ai eu l’impression que Sylvain avait touché terre, qu’il était redevenu mortel. Le projet de film est né à la sortie du confinement. À un moment de ras-le-bol de la vie urbaine et ce besoin de se reconnecter avec la nature. Avec cette diagonale du vide que Sylvain Tesson traverse et ce désir d’embrasser l’hyper ruralité, je savais qu’il y avait un sujet de film.”
Sur les chemins noirs
Sortie :
22 mars 2023
|
1h 35min
De
Denis Imbert
Avec
Jean Dujardin,
Joséphine Japy,
Izïa Higelin
Presse
3,0
Spectateurs
3,6
Séances (1 006)
Co-écrit avec Diastème, le long-métrage est une véritable expérience qui agit comme un miroir sur le spectateur. A l’occasion de la sortie du long-métrage, nous nous sommes entretenus avec le cinéaste qui nous explique que ce film a eu sur lui un effet bénéfique.
AlloCiné : Comment filme-t-on un voyage intérieur ? Vous avez 2 heures.
Denis Imbert : Je vais les prendre. Je vais prendre ces 2 heures pour vous répondre. Et on va commencer par parler de Henry David Thoreau… Non, je plaisante.
Mais c’est très agréable d’entendre une question comme la vôtre, parce qu’en fait, s’il y a bien une chose qui a guidé les pas de cette écriture, c’était justement de décrire un voyage intérieur. Et il s’agissait que le spectateur entre quasiment dans la psyché du personnage.
On entend le souffle de cet homme qui se reconstruit et le bruit de la draille sur laquelle il est en train de marcher. C’est un film organique. En fait, ce n’est surtout pas une carte postale sur une France radieuse, touristique. Non, c’est un voyage tellurique, un voyage intérieur.
“Une conversation entre un visage et un paysage”
J’avais demandé à Sylvain Tesson comment il résumerait cette histoire qui était la sienne. Il m’avait tout de suite donné cette formule qui était : “c’est une conversation entre un visage et un paysage “. Et cette réponse a été une espèce de dogme d’écriture et de tournage par la suite.
A aucun moment je ne souhaitais, je ne voulais lâcher le personnage principal. C’est lui qui ouvre et ferme chaque séquence, on est avec lui. Même quand il disparaît de manière organique du paysage, il disparaît dans la matière. C’est un voyage intérieur.
AlloCiné : Le scénario était déjà écrit mais lorsqu’on tourne en extérieur on est un peu tributaire des événements, tout n’est pas prévisible. Comment se nourrit-on de cela ?
C’est étonnant parce que il y a une donnée de départ qui est certaine, qui est prévue, qui est organisée. On a tourné avec une caméra légère, une équipe réduite, une seule personne au son et un cadre sur l’épaule de la chef opératrice Magali Sylvestre et sur mon épaule, parce que j’ai besoin de cadrer pour être au contact de mon personnage.
Vous savez, vous êtes dans des 360 absolument gigantesques. Je ne peux pas être caché dans un buisson avec un petit retour et hurler« Refais le déplacement ». Ce serait ridicule et surtout, on m’aurait interdit de plateau. Donc la caméra permet ce rapport un peu intime avec un personnage, surtout dans un paysage comme celui-ci.
Une grande liberté
On devient une équipe, une espèce d’équipage d’alpinistes un peu. On a fait des bivouacs, on a amené le matériel à dos d’âne… Ça nous a permis de nous déplacer facilement et de nous replier rapidement quand il le fallait. C’est assez sommaire comme moyen de tournage, mais en même temps ça nous a offert une liberté totale de mouvement. Tout était possible.
Concernant la météo, tout ce qui était intempéries lors du tournage, on ne les a jamais vraiment subies parce que tout était possible. Finalement, il n’y a pas “un” scénario. Si il était écrit : “extérieur, jour, soleil radieux” et que ce jour-là ce n’était pas le cas, on prenait la météo qu’on avait. Si il y avait un orage on s’adaptait. On avait tout sur nous dans nos sacs à dos.
Le seul vrai désagrément, si vous voulez, c’est que vous ne pouvez pas refaire plusieurs fois les scènes. Sylvain Tesson dit : “Les hommes libres ne dorment jamais plus de deux nuits au même endroit”, et on était assez libres sur ce tournage.
Au cinéma, on aime bien refaire, voir les rushes, recommencer… Mais là, ce n’était pas possible. Il y avait vraiment cette nécessité d’avancer. Il y a un livre de Cédric Gras qui s’appelle “L’hiver aux trousses”, et qui parle d’un homme qui traverse la Mongolie du nord au sud. Et comme son personnage nous étions aussi chassés par l’hiver, on était obligé d’avancer. C’est un homme qui bivouaque, qui dort dehors, donc on ne pouvait pas se permettre de tourner au mois de décembre sous la neige dans le Cantal. On était tenu par ce chronomètre.
Il y a le sentiment d’être vissé à son récit et à son acteur. C’est rigoureux mais il y a tout de même une grande souplesse et c’est très agréable.
AlloCiné : Le film suit le parcours du personnage incarné par Jean Dujardin mais ce qui est étonnant c’est qu’il agit comme un miroir, Le spectateur peut se projeter. Aviez-vous anticipé cela ?
C’est vraiment ce que je souhaitais faire dès le départ. On est dans une société qui va vite, dans nos vies, au quotidien, tout s’accélère. Et puis j’ai l’impression que ce à quoi on a accès dans les plateformes, c’est aussi surmonté, survitaminé.
Donner du souffle au spectateur
J’avais envie de ralentir, de donner du souffle et que le spectateur puisse exister dans mes plans, dans mon film.
Et j’ai l’impression que dans ce film, chaque spectateur a à écouter et à entendre. Je sais qu’il ne faut pas parler de lenteur, mais c’est vrai qu’il y a un rythme où le spectateur a le temps de s’immiscer dans le film. J’ai d’ailleurs l’impression, selon les différents retours qu’on me fait, que c’est à chaque fois des expériences très personnelles.
Le film est ressenti depuis son regard subjectif. C’est vraiment très intéressant. C’est très agréable comme sentiment.
AlloCiné : Et c’est d’autant plus intéressant que le personnage principal n’est pas spécialement sympathique…
En fait, je pense que c’est un personnage qui n’est pas antipathique, mais qui n’est pas sympathique pour autant, C’est un homme occupé. C’est un personnage qui se reconstruit, qui est centré sur lui. Il y a eu cette chute, ce mauvais chapitre et il est un peu honteux finalement.
Donc la rencontre humaine n’est pas forcément très avenante, il ne se présente pas sous son meilleur jour. Il se relève de cette chute, il a cette cicatrice. Il découvre son nouveau corps, il découvre le regard qu’on a désormais sur lui.
Dans le livre il y a une scène qui n’est pas dans le film, c’est un passage douloureux où des enfants le regardent. Il se voit alors difforme, comme un tableau de Picasso et il imagine que les enfants vont lui jeter des pierres comme à un mal propre.
Donc c’est vrai qu’il y a toute cette intimité qui est compliquée, mais j’aimais bien l’idée que ce personnage s’ouvre et se libère à des rencontres fortuites et un peu anodines : un homme sur la place d’un village, une bergère dans la montagne, un paysan. Il s’arrête et on en apprend un peu plus sur lui, on le découvre à travers le regard des autres et ses différentes rencontres.
Mais je crois qu’un homme qui a subi un tel traumatisme physique, intellectuel et psychologique, et qui décide de traverser la France à pieds ne vit pas que des jours heureux. Et c’est ça que j’avais envie de retranscrire. Au cinéma on a souvent tendance à romance run peu les choses, comme si la nature humaine faisait peur. Mais là c’est organique, c’est unique.
AlloCiné : Peut-on dire que le personnage principal est un peu un mélange de Sylvain Tesson, de Jean Dujardin et de vous-même ?
Écoutez, j’aime l’idée de m’inviter dans des récits et d’y mettre de moi évidemment . Le deuil que traverse le personnage me touchait puisqu’au moment du tournage je venais de perdre mon père.
Marcher pour chasser les mauvais chapitres
Je comprenais très bien cette réparation sur les chemins. J’ai été marcher sur les chemins pour des repérages et c’est vrai que c’est quelque chose qui m’a, à un moment, apporté une certaine quiétude. Je crois que les chemins ont cette faculté. Vous êtes dans une réalité physique et vous chassez les mauvais chapitres.
AlloCiné : J’imagine que c’est un film qui vous change un peu. Qu’est ce que a changé ? Si ce n’est pas une question trop intime…
Je pense que c’est un film qui m’a réparé. C’est un film qui m’a adouci. Et puis il y a eu ces rencontres.
J’ai redessiné ma carte de France. Elle n’a plus du tout le même visage. J’ai souvent rencontré derrière de très beaux panoramas, des gens formidables.
Un des techniciens du film me disait que c’est dans les endroits les plus désertiques, qu’on rencontre les gens les plus riches, et c’est très juste. Donc je repars avec cette collection, cet organigramme de gens que j’ai pu rencontrer. Et ça, c’est une richesse aujourd’hui.
Vous savez, le paysan de l’Aubrac, je l’ai rencontré durant les repérages, et il m’est resté dans la tête grâce à son authenticité et sa générosité. Au moment des castings à Paris j’ai rencontré des acteurs habillés avec des chemises à carreaux qui prenaient des accents, qui jouaient aux paysans. Et j’ai réalisé qu’on ne pouvait pas faire ça.
J’en ai parlé à Jean et on a décidé de faire intervenir Yves, le véritable paysan, dans le film. C’est donc lui qui joue son propre rôle face à Jean et Jonathan Zaccaï. Et ça c’est les accidents heureux de ce film, c’est la souplesse que permettait ce film.
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