Reportage A Dubaï, où les manifestations sont interdites en dehors de la COP28, les militants refusent de se taire
Perruque blonde sur la tête, une militante venue des Philippines harangue les passants. “Vous aimez Taylor Swift ? Vous aimez la planète ?” Tandis qu’une enceinte diffuse des tubes de la superstar américaine, son petit groupe d’activistes détourne les paroles d’une de ses chansons : “No more cruel summer !” ( “Les étés cruels, c’est terminé”).
Traditionnellement, dans les conférences de l’ONU pour le climat, les activistes se chargent d’ambiancer la société civile et une grande journée d’action mondiale – organisée le samedi 9 décembre cette année – braque les caméras sur la ville hôte en organisant une manifestation monstre pour faire pression sur les dirigeants. A Dubaï pourtant, l’enthousiasme communicatif des “Swifties for Climate Change” ne sortira pas de la “blue zone”, l’espace réservé aux participants accrédités pour la COP28 et administré par les Nations unies.
Dans cet émirat du Golfe, les manifestations sont interdites. Si cette contrainte choque les militants qui, dans leur pays, jouissent de la liberté d’expression, de nombreux activistes du climat sur le globe y sont aussi habitués. Et ces militants entendent bien profiter de cette COP28 pour faire entendre leurs messages, même privés d’un droit fondamental.
Des manifestations très encadrées
Les organisateurs émiratis ont voulu un sommet tourné vers “les solutions” et “le business”. Naturellement, ils voient d’un mauvais œil les organisations venues demander des comptes à leurs dirigeants. Toute demande de manifestation doit être approuvée par le secrétariat de la COP28. Les organisations disposent d’un créneau – environ 25 minutes – et d’un espace délimité – à l’entrée de la “blue zone” –, pour porter leurs revendications. “C’est frustrant, oui”, lâche l‘Américain Thomas Harmy Joseph, membre du Water Climate Trust. Il est venu appeler, au nom des peuples indigènes du pays, à ce que les représentants des énergies fossiles débarrassent le plancher. “Mais nous tenons à remercier nos hôtes et il faut reconnaître que nous sommes très bien accueillis”, ajoute-t-il aussitôt.
Discrets mais omniprésents, les agents de sécurité observent, impassibles, le ballet des journalistes et des pancartes, sous un soleil de plomb.
En 2022 déjà, les militants présents à la COP27, en Egypte, n’avaient pas pu marcher dans les rues de Charm-el-Cheikhn, n’ayant aussi accès qu’à la “zone bleue” et ainsi aux caméras de la presse étrangère. Pour la COP18, à Doha (Qatar), un défilé historique avait certes rassemblé quelques centaines de manifestants mais tous avaient été sommés de respecter à la lettre les consignes du co-organisateur : les autorités du pays.
“Actionistes” et activistes
Dans la “zone verte”, ouverte au grand public, les visiteurs sont invités à découvrir la lutte contre le changement climatique à travers le prisme des grandes entreprises, des institutions et des start-up qui y tiennent pavillon. On y parle d’“actionisme”. Défini sur le site internet du sommet comme une “action vigoureuse pour apporter le changement”, le terme fait honneur aux acteurs de la société civile et notamment aux entrepreneurs qui s’impliquent dans la lutte contre le changement climatique.
“Le mot ‘activiste’ n’est pas perçu de la même manière partout”, relève la militante irakienne Reem al-Saffar. “Les médias véhiculent une image occidentale du militantisme, avec des manifestations dans la rue et des grandes marches pour le climat”, poursuit cette étudiante en biologie qui a représenté la jeunesse de son pays dans les négociations climatiques lors de la précédente COP. “Cette représentation peut être très décourageante pour les jeunes des pays du Sud, qui souhaitent s’impliquer dans cette cause mais pensent, à tort : ‘Je ne suis pas assez courageux pour mener ces actions’.”
“Il faut garder en tête que dans beaucoup de pays, manifester est extrêmement dangereux. Il faut absolument privilégier sa sécurité.”
Reem al-Saffar, militante irakienne
lors d’une conférence à la COP28