Larry Clark revient sur sa filmo : “L’art m’a sauvé la vie !”
AlloCiné a rencontré l’américain Larry Clark à Deauville, où un hommage lui a été rendu cette semaine. A 70 ans, l’auteur de “Kids” et “Ken Park” revient sur sa carrière de réalisateur.
Larry Clark, figure-culte du cinéma indépendant américain, est un septuagénaire à l’élégance un rien destroy. Pas commode au premier abord, avec ses faux-airs de Pierre Bellemare punk, le réalisateur de Kids commence par faire des réponses lapidaires, pas forcément en rapport avec la question posée. Une fois passé ce premier round, au cours duquel le cinéaste semble tester son interlocuteur, il jette volontiers un coup d’oeil dans le rétroviseur, acceptant de parler en quelques mots de chacun de ses longs métrages. Et c’est avec la même gourmandise qu’il lâche une vacherie sur Harmony Korine ou déclare sa flamme à John Cassavetes. Au fil de la conversation, il se révèle affable, cabot, touchant. A deux ou trois reprises, on l’a même vu sourire.
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©Maximilien Pierrette pour AlloCiné
Avant “Kids”
Larry Clark: Tulsa, mon premier album de photo, rassemble 50 photos, qui racontent une histoire comme un film. J’ai tourné un film d‘une heure à partir de ça en 1968, mais je n’ai pas réussi à convaincre les gens de me suivre pour aller plus loin. J’ai toujours voulu être réalisateur, car ce que j’aime avec les photos, c’est raconter des histoires. Mais ça m’a pris beaucoup de temps jusqu’à mon premier vrai film, car j’étais un junkie. Entre la drogue et l’alcool, j’étais une loque. Or, quand on tourne, il faut marcher droit.
Kids (1995)
A l’époque, Les adultes disaient :”Ce sont des conneries, c’est l’imagination de Larry.” Or, il suffisait de lire les journaux dans les deux ans qui ont suivi : tout ce que je racontais dans le film s’est produit dans la réalité. Ce monde de Kids, c’était comme un monde secret auquel personne n’était autorisé à accéder, sauf les ados eux-même. Moi, ils m’ont accepté, on est devenus amis. Je me sens très privilégié.
Je n’ai pas vu Spring Breakers. Harmony Korine [scénariste de “Kids”, photo ci-dessus] a réalisé des pubs, n’est-ce pas ? Je n’en ferai jamais. C’est un vendu. Il y avait une scène géniale dans Gummo, on lui a demandé de la couper, et il l’a fait. Donc il s’est vendu très tôt !
Another day in paradise (1998)
“Kids” ne comportait aucun acteur professionnel, ils jouaient tous pour la première fois, y compris les adultes. Donc j’ai voulu travailler avec de vrais acteurs, et pour ça je suis allé faire un film à Hollywood. J’ai travaillé avec deux bons… mais difficiles ! [Melanie Griffith et James Woods]. J’ai choisi les deux acteurs les plus difficiles de Hollywood ! Ca a été dur pour tout le monde. On me disait : “Larry, c’est comme ça qu’on fait un film”. Ce à quoi je répondais : “C’est pour ça que tous vos putains de films se ressemblent !” Je leur ai dit : “On va tout faire à rebours.” Il a fallu tout apprendre à tout le monde sur le plateau. Car chacun fonctionne selon des règles. Moi j’ai dit : “Il n’y a pas de règle !” Si je dis que c’est mon film le plus autobiographique, c’est parce que j’étais un putain de hors-la-loi, j’ai été incarcéré pendant 19 mois.
Bully (2001)
Bully est tiré d’une histoire vraie, mais aussi d’un livre. Les dialogues du film sont ceux qui avaient été prononcés par les vrais jeunes. C’était authentique. Brad Renfro était un acteur génial, naturel. Il a pu faire le truc. Mais il avait tant de problèmes avec l’alcool, la drogue…
Teenage caveman (TV, 2002)
C’était marrant à faire. J’ai grandi en voyant tous les originaux. J’étais très fan des films de série B quand j’étais jeune. Donc c’était drôle poour moi d’y revenir, et d’essayer de donner un traitement moderne à ces films.
Ken Park (2002)
C’était censé être mon premier film. Mais à l’époque je ne réalisais pas qu’il y avait des règles, qu’on ne pouvait pas faire ce qu’on voulait. Je me suis dit : “Non, Ken Park doit être exactement comme je veux qu’il soit !” Et donc finalement, après des années, j’ai pu le faire comme je l’entendais, sans censure ni rien. C’était très difficile pour mes acteurs. Mais je leur avais dit ce que j’attendais d’eux. Il n’y a pas eu de surprise. Je leur ai expliqué en détail ce qui se passerait. Après, ils acceptaient ou ils refusaient.
Le chef-opérateur Edward Lachman a demandé à être co-réalisateur, j’ai dit non. On ne s’est pas parlé pendant trois ou quatre ans. J’ai décidé de le tuer, j’ai cherché quelqu’un pour le tuer mais je n’ai trouvé personne ! On l’a donc fait ensemble. Il a prétendu qu’on avait tout partagé. Ce n’est pas vrai. Il a filmé, j’ai réalisé. Il n’était pas autorisé à parler aux acteurs. Et voilà. J’avais tellement envie de faire ce film que j’ai accepté de le créditer comme réalisateur. Mais bon, nous sommes amis et c’est un grand cameraman, un des meilleurs.
Wassup rockers (2005)
Dans le quartier de South central, à LA, Il n’y avait aucun blanc. Les Blancs avaient peur d’y aller et même de traverser le quartier en voiture ! J’y suis allé, j’y suis resté trois ans et je n’ai jamais eu d’ennui, aucune bande ne m’a emmerdé. Je devais être le seul Blanc là-bas ! L’environnement était très dur. It’s a fuckin’ghetto, man !
Les gens avaient peur de ces jeunes de 14 ans, qui faisaient du skate et écoutaient du punk. Je voulais montrer que c’étaient en fait des ados comme les autres, qui essaient de grandir. C’est juste qu’ils subissent la pression du groupe pour avoir un look de racaille, porter des fringues baggy, fumer de l’herbe, se raser le crâne, écouter du gangsta rap… Mais eux n’ont pas envie de ça ! Ils veulent porter des vêtements serrés et ressembler à des punkrockers. Donc ils doivent se bagarrer tous les jours, juste pour être qui ils sont ! Même pour marcher dans le rue, ils doivent se battre.
Si Sharon Stone est créditée au générique, c’est parce que, à un moment, le producteur pensait qu’elle nous aiderait à être sélectionnés à Cannes, car là-bas ils l’adorent. En fait, elle n’a rien fait. Mais c’est une femme charmante.
“Marfa girl”, son dernier film visible uniquement sur Internet (2012)
Je me suis dit : pourquoi ne pas court-circuiter les producteurs, les distributeurs ? C’est une bande d’escrocs, ils ne me paieront pas de toute façon. Et puis voulais être le premier réalisateur assez connu qui propose directement son film aux spectateurs. En plus, il n’y a pas de censure, je peux faire ce que je veux, c’est libre. Mais mon prochain film sera distribué en salles.
A la fin de Marfa Girl, beaucoup de questions restent en suspens. Ce que je voulais, c’était une sorte de purification spirituelle, quelque chose de très catholique : chaque matin au réveil, vos péchés de la veille sont lavés et vous allez de l’avant. L’idée, c’est qu’après tout ce qui arrive à ces kids, il y a quand même toujours un avenir. C’est vrai que dans le film, on voit ces jeunes qui dessinent, qui font de la musique… Bien sûr que l’art sauve des vies ! Ca a sauvé la mienne.
Le prochain film, “The Smell of us”
photo de tournage © Sébastien Bossi
Ca mélange des jeunes qui tournent pour la première fois et des acteurs français confirmés. Il y a une femme d’une soixantaine d’années, des gens de 40, 50, 30 ans… Ca ressemble tout le monde. C’est toute la France, tout Paris ! Les producteurs espèrent encore qu’on ira à Cannes. Moi je ne suis pas sûr que Cannes aura le courage de le montrer. Ce ne sont pas une bande de punks, à Cannes ! Mais bon on espère qu’ils le prendront. S’ils le font, soyez à l’affut !
John Cassavetes
Ben Gazzara dans “Meurtre d’un bookmaker chinois” (1976)
Meurtre d’un bookmaker chinois est mon film préféré. John Cassavetes a été une source d’inspiration pour moi. Quand j’ai vu Shadows au début des années 60, je devais avoir 19 ans, et je me suis dit :”Ce gars voit les choses comme moi. On a la même vision.” Donc ca a été très important pour moi de voir ses films. Merci John !
Les Kids d’aujourd’hui
Ce sont les mêmes qu’il y a 20 ans. Ils sont innocents. Même s’ils sont abreuvés d’informations, ils sont innocents, jusqu’à ce qu’ils expérimentent toutes les conneries de la vie. (“all the shit that goes on in life”).
Recueilli à Deauville le 4 septembre 2013 par Julien Dokhan
Marfa Girl